Un avant gout des débats foisonnants sur la smart city: technologies et urbanités, un couple intelligent?

Un récent article paru dans la revue Métropolitiques nous a fait nous replonger dans une réflexion sur l’un des grands thèmes structurants de notre projet : la relation entre la ville et les citoyens, la place de l’ « Humain » dans des villes de plus en plus technologiques, dématérialisées, autrement dit complexes.

Ces brèves ont vocation à vous faire part de quelques unes de nos analyses, et ne prétendent pas avoir un caractère scientifique. Elles nous permettent à la fois de consolider nos connaissances sur certains thèmes que nous souhaitons traiter dans notre projet, de mettre en relation des points de vue, d’engager une réflexion sur différents sujets et de la partager avec vous.

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Source : Smart-Cities: The city and its smartness – Pragyan Blog

D’abord, c’est presque une évidence, mais la façon dont sont pensées, dont sont construites et dont fonctionnent les villes résulte d’une imbrication complexe de principes, de méthodes, de règles, de métiers et d’outils.  Quand notre perplexité face aux mondes urbains est couplée d’une méconnaissance ou l’incertitude que génère les technologies numériques, il en résulte un sentiment d’incompréhension peu propice à la participation des citoyens à la fabrique et à la vitalité de leurs propres territoires. Or, c’est bien l’un des objectifs des métiers de l’urbain, la ville doit être pensée pour les habitants (si ce n’est « par », mais c’est une autre question…). Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de loger, de nourrir, de servir, bref, d’adapter la ville aux besoins de populations toujours plus nombreuses. Les métiers de la gestion territoriale doivent donc évoluer, comme le montrent Lorraine Peynichou et Jérôme Rollin dans leur article, puisque finalement, comme la réussite technologique est structurante pour une start up, elle l’est aussi pour une ville moderne.

Mais l’innovation, l’expérimentation ne doit pas se traduire par le développement incontrôlé des technologies, des réseaux, des données qui risquent de déconnecter la ville de ses usages, et de ses usagers (qui souhaite vivre dans un monde à la Minority Report?). La réponse est à trouver dans les coopérations impliquant des champs de métiers pluridisciplinaires : ingénieurs, entrepreneurs, laboratoires, urbanistes, architectes et autres experts de la gestion territoriale, sur un modèle win-win. Mais plus que tout, elle passe par un fondamental qui est l’ « urbanisation » des technologies numériques. Cela nous renvoie à l’article récent de Sasskia Sassen sur le rapport des citoyens aux réseaux et outils technologiques qui sont présents au quotidien dans nos espaces de vie, et qui passe d’abord par les territoires.

Dans « Talking Back to your Intelligent City »,  Saskia Sassen, sociologue et économiste néerlando-américaine, spécialiste de la mondialisation et de la sociologie des très grandes villes du monde, revient sur l’utilisation du mot “valise” de la smart city. Elle fait aussi le point sur quelques expériences de mobilisation des outils, systèmes et réseaux qui “comptent, mesurent, enregistrent et connectent” la ville : open data et wifi, réseaux électriques connectés, réseaux de transports intermodaux, constructions écologiques, vidéosurveillance et sécurité…

A travers ses témoignages sur l’euphorie que procure toutes ces expérimentations dites “intelligentes”, écologiques et parfois futuristes qui viennent répondre à des besoins fort d’urbanisation et d’adaptation des villes aux nouveaux enjeux et rythmes quotidiens (les villes “champignons” en Chine en sont l’illustration la plus marquante), elle nous interpelle néanmoins sur la complexité, la technicité de cette pratique comme fabrique des mondes urbains de demain.  En effet, d’un point de vue technique, construire puis faire évoluer une smart city est un vrai challenge, mais c’est surtout un défi conceptuel fondamental : la nécessité de fabriquer un système qui mette la technologie entièrement au service des habitants, et non le contraire.

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Source : Vue aérienne de Songdo city, businesskorea.co.kr

Cela suppose, selon l’auteure, de dépasser la logique des villes “instantanées”, telles Songdo International Business District (racontée d’une façon particulièrement intéressante et crue dans l’Aerotropolis de John Kasarda), et d’éviter de tomber dans le piège des systèmes urbains dans lesquels nous passons de “captés” à “captifs” (selon son expression : “sensored” becomes “censored”). La question fondamentale est : ces technologies ont-elles été suffisamment “urbanisées” ? Si elles n’ont pas été pensées pour fonctionner dans un environnement urbain spécifique, pour répondre à des dynamiques et des cultures propres, elles risquent de jouer en la défaveur de l’urbain, des urbanités et des citadins.

Ce qu’il faut, c’est pousser l’urbanisation de la technologie, et pour cela, Saskia Sassen insiste sur la nécessité de dépasser nos points de vues “occidentaux” et nous invite à explorer des champs étrangers de technologies pour la construction et la fabrique des espaces urbains. De bons exemples (Cloud 9 à Barcelone, projet qui combine science, technologie et architecture – voir photo) rendent la technologie visible, accessible, comprise et mobilisable par les citoyens : ”if you can actually see it, you can get engaged”. Contre une technologie inaccessible contrôlée par les techniciens aux commandes de la ville, pour une démocratisation de l’accès à la culture des données, des codes et des réseaux en tous genre dans nos espaces dits “publics”, Saskia Sassen prône la transparence : celle des discours, des échanges, mais aussi des murs !

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Références :

Sassen, S. 2011. « Talking back to your intelligent city », McKinsey on Society, rubrique « Voices | Cities ».

Lorraine Peynichou, Jérome Rollin « Connecter la ville numérique au territoire : l’apport des sciences sociales », Métropolitiques, 29 avril 2016.

Source : Media-TIC, best building of 2011 at WAF Awards, barcelonacatalonia.cat

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